Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Biographie Emma Arnold Chapitre 2 (1923-1939) : Epouse et mère

Eugénie (19 ans) aimait aller danser le samedi soir.
Eugénie (19 ans) aimait aller danser le samedi soir.

Eugénie grandit et devint une jeune fille vive et charmante qui raffolait des bals du samedi soir. Emma l’escortait à titre de chaperon et passait la soirée entière sur une chaise, à attendre que sa sœur ait épuisé tous ses partenaires de danse. Un jeune homme du nom d’Adolphe Arnold, qui chaperonnait lui aussi sa sœur, s’asseyait souvent à une table voisine. Les deux jeunes gens se mirent à converser. Emma découvrit qu’Adolphe travaillait, comme elle, dans une usine textile. Ils se trouvèrent tant de points communs qu’ils décidèrent de s’unir pour la vie. Quand Adolphe monta à Bergenbach pour demander la main d’Emma, il y reçut un accueil glacial. Ce jeune homme issu d’une famille pauvre qui n’avait même pas de champs et de bétail ne devait pas savoir ce que c’était que travailler ! Et pouvait-on qualifier de « métier » cet emploi artistique qu’il occupait à l’usine ? De plus, il était si maigre ! Marie ne pouvait s’opposer au choix de sa fille, âgée 26 ans. Mais ses remarques continuelles, toujours blessantes, rendirent la vie pénible, non seulement à Emma, mais à l’ensemble de la famille.

Le talent artistique d'Adolphe ne trouvait pas d'écho auprès de la mère d'Emma
Le talent artistique d’Adolphe ne trouvait pas d’écho auprès de la mère d’Emma

Alors que le jour du mariage approchait, Marie se disputa violemment avec son futur gendre. Elle voulait organiser un repas somptueux, qui en impose aux villageois. Mais elle n’en avait pas les moyens – elle emprunterait la somme, disait-elle. Adolphe s’opposa radicalement à ce projet. Il n’était pas homme à se soucier du « qu’en dira-t-on ». Pourquoi feindre d’avoir de l’agent si on était pauvre? Pour s’établir, Adolphe ne disposait que de l’équivalent d’une semaine de salaire car, comme Emma, il avait toujours versé ce qu’il gagnait à sa famille. Marie, furieuse, ne reversa à sa fille que trois jours de salaire en guise de dot. Pour adoucir l’humeur belliqueuse de sa future belle-mère, Adolphe consentit à la célébration d’une grand-messe de mariage à la chapelle d’Oderen – une prestation coûteuse qu’il paya de sa poche.

Leurs salaires réunis étaient tout juste suffisants pour permettre aux jeunes mariés de louer une petite pièce avec cuisine au village. La propriétaire, une dame âgée, les prit en pitié et leur donna un vieux lit et une table. Des caisses retournées leur servaient de chaises. Après quatre ans d’économies, ils déménagèrent dans un appartement situé dans une demeure nommée Blättmat qui appartenait à l’usine de Wesserling où Adolphe travaillait. Ils jugèrent alors que leur nid était prêt pour accueillir des enfants.

Ein Aquarell von Arnolds gemütlichem Häuschen in Blättmatt
Ein Aquarell von Arnolds gemütlichem Häuschen in Blättmatt

L’hiver 1928/1929 fut si rude que les canalisations, les fontaines et les rivières gelèrent. Il fallait casser la glace avec une hache pour accéder à l’eau. Emma, enceinte, descendit à la rivière en tenant un seau devant elle. Elle glissa et tomba en avant, sur le ventre. Le couple pleura longtemps la perte tragique du petit garçon à naître.

Quelque deux ans plus tard, Emma s’apprêta à accoucher à domicile de son deuxième enfant. Les contractions, puissantes et douloureuses, se succédèrent  plus d’une journée, sans résultat, la laissant épuisée et pantelante. La sage-femme, soucieuse, demanda à Adolphe d’aller quérir le médecin. Celui-ci arriva rapidement pour trouver Emma dans un état critique. Il prit Adolphe à part et lui demanda, dans l’urgence : « Je sauve qui, la mère ou l’enfant ? » Bouleversé, Adolphe lui répondit de sauver sa femme. Le 17 août, après une deuxième journée de contractions, une petite fille vint au monde, le teint bleuâtre et les membres flasques. Le médecin la mit de côté sur un coussin et consacra toute son attention à la mère. Eugénie, qui était présente et avait fait de son mieux pour soutenir sa sœur, vit soudain que le bébé ne bougeait plus du tout. Elle cria pour alerter le médecin qui attrapa l’enfant par les pieds et lui donna une tape dans le dos. Un puissant vagissement retentit, soulageant tout le monde, et le médecin retourna à Emma.

La petite fille devait s’appeler Simone, mais comme on voulait la mettre sous la protection de la Vierge, on la déclara sous le nom de Marie-Simone.

Eugénie, qui avait perdu son mari depuis peu, s’installa chez les Arnold pour s’occuper de la mère et de l’enfant. Marie descendit de Bergenbach à Wesserling pour donner des conseils avisés sur les plantes à administrer à la mère et à l’enfant. Elles se rétablirent si rapidement que le baptême put avoir lieu une semaine plus tard. Adolphe décida d’honorer la sage-femme en lui demandant de porter Simone sur les fonds baptismaux et en lui attribuant la place d’honneur au repas familial qui suivit.

Lorsque Marie Simone Arnold (au bras de la sage-femme) est baptisée catholique, toute la famille se réunit
Lorsque Marie Simone Arnold (au bras de la sage-femme) est baptisée catholique, toute la famille se réunit

La religion occupait une place importante dans la vie des Arnold, mais ils croyaient aussi que certaines questions relevaient d’une décision personnelle. L’Eglise interdisait toute forme de contraception, mais ils décidèrent de passer outre : soulagés par l’issue heureuse du dernier accouchement, ils décidèrent de ne plus risquer la vie d’Emma par une nouvelle grossesse.

Pour faire durer le salaire rapporté par son mari, Emma travailla diligemment à domicile ; tout en élevant sa fille, elle effectuait des travaux de couture et planta un potager dont elle mettait les fruits et légumes en conserve. Elle se rendait aussi régulièrement à Bergenbach pour aider sa mère aux travaux de la ferme et revoir Germain, le seul de la fratrie qui habitait encore chez ses parents.  

Grand-mère Marie avec Simone
Grand-mère Marie avec Simone

À la grande ville

À l’usine de Wesserling où Adolphe travaillait comme conseiller artistique, les cadres, même dialectophones, ne s’exprimaient qu’en français. C’était un moyen d’affirmer leur appartenance à la « bonne société » et de se démarquer du commun des travailleurs. Emma souhaitait faire honneur à son mari et recopiait tous les jours des pages et des pages de français. Mais alors que la vie commençait à sembler douce et paisible aux époux Arnold, la région fut secouée par des troubles politiques et sociaux. Suite aux problèmes économiques qui s’ensuivirent, l’usine de Wesserling ferma. Adolphe retrouva rapidement un emploi dans une entreprise textile située à Mulhouse, ce qui l’obligeait à effectuer quotidiennement de longues navettes entre la ville et son domicile. Pendant un an, il ne put qu’entrevoir sa fillette endormie quand il prenait le premier train du matin et qu’il revenait tard le soir. Finalement, en 1933, l’usine mit à sa disposition un appartement à Mulhouse-Dornach.

La famille Arnold s'est essayée à l'écriture dans son appartement au troisième étage d'un immeuble de Mulhouse-Dornach.
La famille Arnold s’est essayée à l’écriture dans son appartement au troisième étage d’un immeuble de Mulhouse-Dornach.

Les Arnold n’aimaient pas leur condition de citadin. Même Zita, leur petite chienne, paraissait perturbée. La vie, dans un immeuble en ville, induisait d’énormes changements, qui affectaient aussi certains aspects du travail d’Adolphe : à présent, il devait porter des chemises blanches, à changer tous les jours. Comme il n’avait pas les moyens de s’acheter une telle quantité de chemises, Emma les confectionna elle-même dans des coupons de tissu blanc à prix réduit que la fabrique mettait à la disposition des ouvriers.

Le dimanche, les Arnold retournaient vers leurs montagnes bien-aimées. Ils se rendaient tantôt à Kruth, chez Paul Arnold (qui, après s’être occupé de la fratrie d’Adolphe, élevait à présent les deux enfants de la sœur d’Adolphe, décédée prématurément), tantôt à Bergenbach pour aider aux travaux de la ferme. Eugénie ne pouvait seconder ses parents car elle travaillait en ville comme gouvernante et Valentine se sentait trop « dame » pour s’abîmer les mains à ce genre de tâche.

De gauche à droite : Emma, Adolphe, grand-père Rémy, tante Eugénie, grand-mère Marie, au centre Simone.
De gauche à droite : Emma, Adolphe, grand-père Rémy, tante Eugénie, grand-mère Marie, au centre Simone.

Puis les troubles politiques et sociaux recommencèrent à menacer la vie ou, du moins, les moyens d’existence des gens. L’Allemagne reconstituait ses forces militaires et la France répondait en édifiant, le long de sa frontière nord-est, un vaste système fortifié connu sous le nom de « ligne Maginot » pour protéger l’Alsace et la Lorraine de toute attaque allemande directe.

Conversion et controverses

Dans le foyer Arnold, un autre problème surgit. Adolphe et Emma avaient vu un prêtre se conduire avec indécence vis-à-vis d’un enfant. Cela troubla Emma au point qu’elle refusa d’aller à l’église où ce prêtre officiait. A peu près au même moment, deux hommes venant de Bâle, en Suisse, sonnèrent à sa porte et lui laissèrent des opuscules religieux. Elle s’acheta une bible catholique pour vérifier les citations puis elle commanda d’autres brochures malgré les réticences d’Adolphe. Emma avait toujours privilégié le bien-être et le bonheur de son mari mais, convaincue d’avoir trouvé la vérité telle qu’elle est exposée dans la bible, elle refusa de céder à l’insistance d’Adolphe qui voulait qu’elle arrête de lire les écrits de ces Bibelforscher (« Etudiants de la bible ») aussi appelés Témoins de Jéhovah. Elle ne concédait à personne, pas même à son époux, le droit d’interférer avec sa liberté de culte. Adolphe décida de ne plus lui adresser la parole et ne sortait de son mutisme que pour les choses indispensables. Il se mit aussi à fumer à la chaîne tandis que s’élargissait la brèche dans leur harmonie conjugale.

Emma alla voir ses voisins pour partager avec eux la foi qu’elle venait de trouver. Elle lisait aussi des passages de la bible à Simone, alors âgée de 7 ans. Celle-ci ne voulut bientôt plus aller à la messe du dimanche mais Emma lui ordonna de se montrer respectueuse envers son père et de l’accompagner à l’église sans rechigner. Sur le trajet, la fillette n’arrêtait pas de poser des questions religieuses auxquelles Adolphe était incapable de répondre, si bien qu’au bout d’un an environ, il renonça à l’emmener pour s’éviter « cette corvée ». Il opta alors pour une autre stratégie : passer commande d’un livre publié par les Bibelforscher, intitulé Création, et le lire pour démontrer que son contenu n’était qu’un ramassis d’hérésies et de stupidités. Mais ce qu’il y trouva le convainquit que sa femme avait raison et que l’ouvrage reflétait fidèlement l’enseignement de la bible. Emma se fit baptiser comme Témoin de Jéhovah à Bâle, en 1938, et Adolphe l’année suivante. Entre les deux événements, les menaces de guerre se précisèrent. Adolphe, qui n’avait pas loin de quarante ans, fut rappelé en tant que réserviste lors du conflit des Sudètes. Il laissa femme et fille pour se rendre au poste qu’on lui avait assigné. Les tensions internationales s’apaisant, il fut rapidement renvoyé dans son foyer où il déclara à sa femme qu’il refuserait désormais, pour motif de conscience, tout nouvel ordre d’incorporation. Tous les deux étaient conscients que cette décision pourrait lui coûter la vie en cas de conflit avéré. Mais Emma n’en soutint pas moins la prise de position de son mari de toute la force de sa foi.

Eugénie kurz vor dem Zweiten Weltkrieg
Eugénie peu avant la Seconde Guerre mondiale

Quand la guerre sembla imminente, Emma et Adolphe voulurent encourager les leurs grâce au message d’espoir contenu dans la bible. Ils se rendirent d’abord à Bergenbach où toute la famille devait se retrouver pour un déjeuner dominical. Mais leurs propos furent accueillis par des injures. Seul Rémy garda son calme et alla vaquer aux tâches de la ferme. Adolphe laissa Emma faire front à la fratrie exaspérée et à sa mère qui bouillait de colère. Il prit la poudre d’escampette avec Simone pour aller à Kruth voir son père adoptif, Paul Arnold, à qui il voulait offrir une bible. Il eut à peine le temps de la poser sur la table ; Paul, qu’Adolphe respectait infiniment, jeta l’ouvrage par la fenêtre et son beau-fils par la porte. Adolphe et Emma furent bannis le même jour par leurs familles respectives qui décidèrent de ne plus leur parler. Même Eugénie, qui habitait Mulhouse, refusait dorénavant de rendre visite à sa sœur renégate. Elle consentait seulement à voir Simone, qu’elle retrouvait à la sortie de l’école.

Ces mois agités d’avant-guerre virent Emma effectuer souvent de longs trajets, en dépit de son arthrite, pour dispenser une aide spirituelle et matérielle à son prochain. Son élève la plus zélée était Simone, tant dans les domaines spirituel que pratique. Avec sa mère, Simone apprenait à raisonner sur la base de la bible mais aussi à coudre, tricoter et cuisiner. Avec son père, dont elle partageait le solide bon sens, elle développait des standards moraux élevés et le goût pour la peinture et à la musique. Les Arnold prenaient part avec zèle aux activités religieuses de l’association locale des Témoins de Jéhovah de Mulhouse. Mais juste avant que la guerre n’éclate, le gouvernement français interdit l’œuvre des Témoins de Jéhovah.