Biographie Adolphe Arnold Chapitre 1 (1897-1914): Talonné par la pauvreté

La famille Arnold vivait au fond de la vallée de la Thur, dans les Vosges alsaciennes.

Quand Adolphe naquit, le 22 août 1897, son père, Martin, travaillait comme ouvrier dans une usine et gagnait à peine de quoi faire vivre ses trois enfants. Une pauvreté extrême l’avait conduit à quitter la petite ferme de montagne familiale pour s’installer au village de Kruth. Martin voulait aussi échapper à la tuberculose qui avait emporté presque tous ses frères et sœurs. Il craignait pour la santé de ses enfants, surtout pour celle de son fils Adolphe, particulièrement fragile, qu’une grande affection liait à ses parents.

 Un jour, Odile, la mère d’Adolphe, reçut une affreuse nouvelle: son mari était tombé raide mort à l’usine lors d’une controverse avec son patron. Le différend portait sur un collègue, père de six jeunes enfants, qui devait être licencié. Martin n’avait pu se taire quand toute une famille allait sombrer dans la misère et il avait courageusement pris le parti de l’ouvrier. Mais la tension nerveuse avait été trop forte et son intervention lui avait coûté la vie.
 
Cette tragédie marqua profondément Adolphe, alors âgé d’une dizaine d’années. Sa mère n’eut d’autre choix que d’aller travailler dans l’usine où son mari était mort. Le seul frère survivant de la fratrie de Martin, Paul Arnold, handicapé par une malformation due à un rachitisme sévère, ne pouvait exercer un emploi. Il vint s’occuper des trois enfants mais, pour pouvoir s’installer à Kruth dans la maison de son frère décédé, il lui fallut épouser Odile, sa belle-sœur veuve. Ainsi, l’oncle d’Adolphe devint aussi son père adoptif.

Photo de la famille Arnold
Photo de la famille Arnold

La mère d’Adolphe, animée d’un amer ressentiment, s’échinait du lever au coucher du soleil pour un salaire dérisoire. Quand les ouvriers de l’usine décidèrent de se mettre en grève pour la première fois, Odile se joignit aux revendications contre les conditions de travail abusives et participa à une marche de protestation. Plus tard dans la semaine, comme à son habitude, elle alla se confesser. « C’est tout ? » demanda le curé. « Et qu’en est-il de la grève ? Y avez-vous participé ? » Surprise, elle acquiesça.  La porte du confessionnal s’ouvrit à la volée et Odile reçut une gifle retentissante en plein visage. Le prêtre hurla : « Voilà pour cette fois ! La prochaine fois, vous perdrez votre emploi!» Odile rentra chez elle avec une joue écarlate et un sentiment de profonde désillusion. Les Arnold luttèrent pour survivre tant bien que mal en cette fin d’hiver, accompagnant leurs maigres pommes de terre d’un peu de lait et de quelques tranches de pommes et de poires séchées au lieu de viande.
 
Adolphe, qui n’avait que la peau sur les os, était trop faible pour travailler à l’usine ou dans une ferme. Mais il possédait un talent artistique exceptionnel. Son père adoptif décida que la famille ferait des sacrifices pour lui permettre d’aller à l’Ecole des Arts et Métiers de Mulhouse. Chaque matin, le jeune homme de 14 ans partait, muni pour tout repas d’un morceau de pain et d’un bout de fromage. Puis, qu’il pleuve à verse ou qu’il neige, il faisait à pied le trajet de 10 km pour aller à la gare prendre le train de 7 h.

Déterminé à prouver sa reconnaissance à sa famille, Adolphe s’appliquait et récoltait les meilleures notes. En fin de deuxième année, il présenta à l’exposition de l’école une peinture qu’il avait exécutée, une huile sur toile de 100 cm sur 60. Le patron de l’usine d’imprimerie sur tissu de Wesserling était présent ce jour-là, à la recherche d’une future recrue. Adolphe, âgé de 16 ans, obtint le premier prix pour son oeuvre. Le jeune homme s’avança sous les applaudissements pour recevoir des mains du directeur la médaille d’or enfermée dans un écrin noir. Adolphe retourna à sa place, serrant l’écrin sur son cœur. Son père adoptif, rayonnant de fierté, voulut admirer la médaille et découvrit à sa grande surprise que l’écrin contenait une médaille d’argent. Aussi se rendit-il avec Adolphe chez le directeur après la cérémonie, persuadé que les boîtes avaient été interverties accidentellement. Sans s’excuser le moins du monde, le directeur de l’école déclara : « Il n’est pas pensable que la médaille d’or aille à un petit montagnard dont le nom ne dit rien à personne. Je l’ai donnée au fils de M. Untel qui nous soutient financièrement et dont le nom est connu dans toute la ville. » Puis, toisant les Arnold, il continua : « Si cela ne vous convient pas, je peux reprendre la médaille d’argent et la donner à quelqu’un d’autre ! »

Peinture à l'huile du jeune Adolphe Arnold, 15 ans
Peinture à l’huile du jeune Adolphe Arnold, 15 ans

En cet été de 1914, Adolphe fut engagé par le service de graphisme artistique de Gros-Roman et Marozeau, manufacturiers à Wesserling. Mais cet emploi ne dura que peu de temps, et pour cause !